dimanche 11 septembre 2016

Certificat d'Etudes Primaires - Dictées et lectures - Série 11

Vous l'avez voulu, Monsieur Topoho !


Il y avait une fois un éléphant qui voulait partir en voyage. Depuis longtemps, il souhaitait rendre visite à ses cousins les Hippopotames, qui habitaient à l'autre bout de la jungle, au bord du Grand Fleuve. Mais il fallait, pour cela, marcher des jours et des jours, et Topoho, notre éléphant, était plutôt paresseux. Il pouvait prendre le train ; malheureusement pour lui, dans le train de la jungle, plus on est gros, plus on paie cher. Un trajet qui coûte un sou à une puce, coûte cent francs à un lion  (et encore à condition qu'il n'ait pas de puces). Vous imaginez ce qu'il peut coûter à un éléphant ! Et Topoho était aussi avare que paresseux.


Un jour, il lui vint une idée. Il se dit :
"Si je me faisais passer pour un moustique ? "
... Topoho s'en alla donc vers la gare en gambadant et en essayant d'imiter avec sa trompe le sifflement des moustiques ...
Le vieux singe qui distribuait les billets à la gare était très myope et très sourd. Il entendit pourtant le sifflement de Topoho.
"Qu'est-ce que c'est ?" demanda-t-il.
Topoho répondit : "Un moustique.
- Pas possible ! s'écria le vieux singe. Voilà que j'entends siffler les moustiques ? Je ne suis donc plus sourd ?"
Il souleva le grillage de son guichet, mais, à cause de sa myopie, il ne vit rien du tout.
"Et où vas-tu mon petit ?" demanda-t-il.
Topoho déclara :
"Au bord du Grand Fleuve ... "
Et le vieux singe lui tendit un billet vert, un billet de moustique ...


Il y avait beaucoup de voyageurs sur le quai. Lorsque le train arriva, Topoho chercha le wagon des moustiques. Mais ce wagon était partagé en compartiments minuscules, chacun pour cinq cents moustiques. Impossible d'y introduire seulement un bout de patte.

Alors Topoho s'installa sur le toit, et le train repartit.
A chaque gare un contrôleur singe accourait devant le wagon et criait à Topoho : 
"Veux-tu descendre de là ! Ce n'est pas la place d'un éléphant ! "
Topoho montrait son billet de moustique et le contrôleur disait aussitôt :
"Je te demande pardon."


Mais les moustiques, qui, à chaque gare, faisaient un petit tour hors du train pour se dégourdir les ailes, assistaient chaque fois à la comédie. Ils tinrent conseil dans leurs compartiments et décidèrent de donner une bonne leçon à Topoho, d'autant plus que le toit du wagon commençait à craquer sous son poids.
Comme la trompe de l'éléphant pendait devant les fenêtres, ils allèrent se poser sur son extrémité, puis, les uns derrière les autres, ils grimpèrent à l'intérieur de la trompe.
Il en entra cent, mille, dix mille ... Alors, au signal de leur chef, tous les moustiques piquèrent la peau en même temps. Et la peau des éléphants, à l'intérieur de la trompe, est aussi sensible que notre peau à nous. Sous les dix mille piqûres, le pauvre Topoho éternua si fort qu'il perdit son équilibre. Il tomba du toit et se trouva par terre, tandis que le train continuait sa route ...



Le lendemain, à la gare, mon Topoho reparut, la trompe enveloppée dans un grand foulard rouge. Au vieux singe du guichet, il demanda :
"Pardon, Monsieur, voulez-vous me donner un billet d'éléphant pour le bord du Grand Fleuve ? Et même un billet de gros éléphant. Je ne voudrais pas avoir d'ennuis en cours de route !"

Claude Aveline (1901 - 1992) - De quoi encore ? (1946)



(Duru G., Duru M., Lectures actives, Cours moyen 1ère année, Classiques Hachette, Ed. Paris, 1956, 240 pages)



dimanche 4 septembre 2016

Certificat d'Etudes Primaires - Dictées et lectures - Série 10

Dans la cabine de l'aiguilleur


Nous avions refermé soigneusement la porte, tiré les châtaignes et bouteilles du panier et même une petite poêle à trous pour griller les châtaignes. 
Nos vêtements suspendus à des clous fumaient, comme nos corps ... Bénichat, qui semblait être chez lui dans la baraque, avait mis la poêle à chauffer, et déjà, en craquant, les châtaignes grillées éclataient dans leur écorce. Elles requinquaient le cœur.
- Çà, c'est une idée, et fameuse dit Barjavel, sans tourner la tête.
- Et du blanc ! Un bon petit blanc, sec et fin comme du silex, répondit Bénichat, en secouant vigoureusement la poêle. Tout à fait pour ce temps de chien. C'est frais et çà chauffe.
- Il faut çà. Ici, quand il souffle, rien ne coupe le vent ...

Soudain Barjavel nous fit un signe, et il porta la main à son oreille : 
- Ecoutez ! Je crois que c'est lui ... Il roule ! ...
On entendait, en effet, vers le sud, dans les collines, un roulement sourd. Il grandit. Barjavel se leva de sa chaise ...
- Regarde bien, petit, me dit-il, droit là-bas où tourne la colline. C'est de là qu'il va sortir.

Il sortit de là. A peine Barjavel eut-il parlé qu'on vit surgir les deux grosses lanternes jaunes. Le roulement grandit encore. Barjavel fit tourner, sur un cadran d'émail, une grosse aiguille, et d'un coup, abattit le levier de fer sur le plancher. Des poulies grincèrent dehors et Barjavel dit : Aie pas peur ! C'était pour moi.



Déjà grondait le pont. On ne voyait que les lanternes. Avec une extraordinaire vitesse, elles grossissaient en courant vers nous. La terre trembla. Sur l'acier des rails, dans un vacarme assourdissant, arrivait une tempête ... En coupe-vent, le poitrail du monstre fonçait tout droit sur la baraque. Soudain, je la vis si petite, la baraque, si près des rails, que j'eus vraiment peur. La bête énorme allait nous broyer. Elle vint, haute, épouvantable, et je crois bien qu'elle sauta par-dessus nous. Vitres, planches, poêle, leviers, cadrans, toiture, tout reçut une commotion qui nous ébranla nous-mêmes. Le plancher subit le roulis. La secousse fit tressauter la bouteille, les verres, et, au plafond, agita deux lampes. Et soudain l'appel d'un sifflet déchira l'air. Je bouchai mes oreilles.

Mais déjà le train était loin. Déjà les feux rouges du fourgon de queue s'éloignaient de nous, en tournant sur le haut remblai qui prenait une courbe immense. Un timbre tinta tout près des cadrans. Barjavel manœuvra un levier, puis un autre, et dit, tranquillisé :
- Maintenant, nous pouvons casser la croûte.

Henri Bosco (1888 - 1976) - Antonin (1952)


(Duru G., Duru M., Lectures actives, Cours moyen 1ère année, Classiques Hachette, Ed. Paris, 1956, 240 pages)