Trains de marée
Le mécanicien siffla sa direction et empoigna le régulateur. Le patinage des premiers tours de roue brimbala les deux hommes sur la machine en furie, puis, le train partit à belle allure ...
Le chauffeur précipitait des volées de charbon dans l'abîme de flammes du foyer ronflant. Une grande fatigue venait du tremblement de la machine et du vacarme de la chaudière bouillante. La poussière de charbon se collait en masque noir sur le visage suant des hommes oppressés par les aspirations brûlantes devant le foyer rouge. Un remous d'air les tenait parfois dans un instant de bien-être frais. Leur poitrine se gonflait d'aise et ils respiraient goulûment ... L'aiguille du manomètre marqua cent vingt kilomètres à l'heure. Les bielles se mouvaient avec la rapidité des ailes d'une mouche. Les yeux dardés du mécanicien cherchaient, au plus loin, le feu des sémaphores, et le train enfilait, à une allure de cataclysme, le gouffre noir constellé de signaux.
Pierre Hamp (Henri Bourrillon 1876 - 1962) - Marée fraîche et vins de champagne (1913)
