dimanche 4 septembre 2016

Certificat d'Etudes Primaires - Dictées et lectures - Série 10

Dans la cabine de l'aiguilleur


Nous avions refermé soigneusement la porte, tiré les châtaignes et bouteilles du panier et même une petite poêle à trous pour griller les châtaignes. 
Nos vêtements suspendus à des clous fumaient, comme nos corps ... Bénichat, qui semblait être chez lui dans la baraque, avait mis la poêle à chauffer, et déjà, en craquant, les châtaignes grillées éclataient dans leur écorce. Elles requinquaient le cœur.
- Çà, c'est une idée, et fameuse dit Barjavel, sans tourner la tête.
- Et du blanc ! Un bon petit blanc, sec et fin comme du silex, répondit Bénichat, en secouant vigoureusement la poêle. Tout à fait pour ce temps de chien. C'est frais et çà chauffe.
- Il faut çà. Ici, quand il souffle, rien ne coupe le vent ...

Soudain Barjavel nous fit un signe, et il porta la main à son oreille : 
- Ecoutez ! Je crois que c'est lui ... Il roule ! ...
On entendait, en effet, vers le sud, dans les collines, un roulement sourd. Il grandit. Barjavel se leva de sa chaise ...
- Regarde bien, petit, me dit-il, droit là-bas où tourne la colline. C'est de là qu'il va sortir.

Il sortit de là. A peine Barjavel eut-il parlé qu'on vit surgir les deux grosses lanternes jaunes. Le roulement grandit encore. Barjavel fit tourner, sur un cadran d'émail, une grosse aiguille, et d'un coup, abattit le levier de fer sur le plancher. Des poulies grincèrent dehors et Barjavel dit : Aie pas peur ! C'était pour moi.



Déjà grondait le pont. On ne voyait que les lanternes. Avec une extraordinaire vitesse, elles grossissaient en courant vers nous. La terre trembla. Sur l'acier des rails, dans un vacarme assourdissant, arrivait une tempête ... En coupe-vent, le poitrail du monstre fonçait tout droit sur la baraque. Soudain, je la vis si petite, la baraque, si près des rails, que j'eus vraiment peur. La bête énorme allait nous broyer. Elle vint, haute, épouvantable, et je crois bien qu'elle sauta par-dessus nous. Vitres, planches, poêle, leviers, cadrans, toiture, tout reçut une commotion qui nous ébranla nous-mêmes. Le plancher subit le roulis. La secousse fit tressauter la bouteille, les verres, et, au plafond, agita deux lampes. Et soudain l'appel d'un sifflet déchira l'air. Je bouchai mes oreilles.

Mais déjà le train était loin. Déjà les feux rouges du fourgon de queue s'éloignaient de nous, en tournant sur le haut remblai qui prenait une courbe immense. Un timbre tinta tout près des cadrans. Barjavel manœuvra un levier, puis un autre, et dit, tranquillisé :
- Maintenant, nous pouvons casser la croûte.

Henri Bosco (1888 - 1976) - Antonin (1952)


(Duru G., Duru M., Lectures actives, Cours moyen 1ère année, Classiques Hachette, Ed. Paris, 1956, 240 pages)